La procédure de reprise des locaux abandonnés (loi Béteille)

La loi dite « Béteille » de 2010 instaure une procédure simplifiée pour la reprise des logements abandonnés par leur locataire, permettant au propriétaire de récupérer son bien dans un délai raisonnable. Conseils pour utiliser cette loi afin de reprendre au plus vite son bien.

Par Maître Bruno ALMOUZNI, publié le 27/02/2023

Il peut arriver qu’un locataire (et autres occupants d’un logement) parte définitivement sans avertir le propriétaire et sans restituer les clés.


La loi dite « Béteille » du 22/12/2010 a instauré une procédure spécifique et simplifiée permettant au propriétaire d’un logement à usage d’habitation régi par la loi du 06/07/1989 (hors meublés) de reprendre son bien dans un délai raisonnable (environ 3 à 4 mois) lorsque son locataire a abandonné le logement. Cette loi et son décret d’application du 10/08/2011 permettent alors au propriétaire d’agir en évitant les méandres d’une procédure d’expulsion de droit commun.

Le décret de 2011 a modifié les dispositions de l’article 14 de la loi du 06/07/1989 ainsi que la procédure d’expulsion en instaurant une procédure autonome et une procédure incidente de reprise des locaux abandonnés.

Le commissaire de justice/huissier de justice peut procéder à la reprise des locaux abandonnés dans deux cas de figure :

– lorsqu’à la suite d’une procédure de droit commun il est porteur d’une décision ordonnant l’expulsion, que la signification du commandement de quitter les lieux prévue à l’article L 411-1 du code des procédures civiles d’exécution (CPCE) est intervenue ; dans ce cas il pourra reprendre les lieux s’il constate que ceux-ci ont été libérés par la personne expulsée et les occupants de son chef alors même que le délai de 2 mois prévu au commandement de quitter n’est pas expiré.

Il procède alors à la reprise des lieux dans le cadre d’une procédure incidente quelle que soit la nature du local (à usage d’habitation, commercial, meublé ou garage) sur le fondement de l’article R 451-1 CPCE.

– lorsqu’il a obtenu une ordonnance, passée en force de chose jugée, l’autorisant à reprendre les locaux en application de l’article 14-1 de la loi du 06/07/1989 ; il procède alors à la reprise des lieux dans le cadre d’une procédure autonome sur le fondement de l’article R 451-2 CPCE.  

Quelles sont les conditions de mise en œuvre de la procédure autonome de reprise des logements abandonnés et comment se déroule la procédure ?

A —La nature des locaux

Les locaux concernés par la procédure ne peuvent être que des locaux régis par la loi du 06/07/1989 c’est à dire :

– les locations de locaux à usage d’habitation principale ; est ainsi présumé constituer la résidence principale de son détenteur le local que celui-ci occupe effectivement de façon continue avec sa famille.

– les locations à usage mixte professionnel et d’habitation principale

– les garages, places de stationnement, jardins et autres locaux accessoires au logement principal, loués par le même bailleur.

Le champ d’application de la procédure de reprise des logements abandonnés sera donc très limité.

En l’absence de bail écrit et dans la mesure où les locaux sont affectés à l’habitation principale, la procédure de l’article 14-1 de la loi du 06/07/1989 pourra être mise en œuvre.

B —Les défendeurs visés par la procédure

Les défendeurs concernés par la procédure autonome de reprise des logements abandonnés peuvent être :

– les époux locataires

La loi fait peser sur le locataire une obligation d’information envers le bailleur, sur son lien matrimonial.

Ainsi, si seul l’époux a signé le bail alors que le mariage a eu lieu avant la signature du contrat de location, l’épouse sera co-titulaire de plein droit.

Si les époux se sont mariés après la signature du bail, le locataire ou son épouse doit informer le propriétaire pour rendre opposable la co-titularité au bailleur.

De ce fait, la procédure sera dirigée à l’encontre des deux époux locataires alors même que le bail n’aurait été signé que par l’un d’entre eux.

Le commissaire de justice devra veiller à recueillir auprès du bailleur les informations précises sur les conditions d’occupation du logement.

– les partenaires liés par un pacte civil de solidarité :

Le PACS ne crée aucune co-titularité même si le bailleur est informé de cette situation après signature du contrat de bail par le locataire en titre.

On peut penser que la mise en demeure d’avoir à justifier de l’occupation du logement (premier acte de procédure qui sera évoqué plus bas) ne sera signifiée qu’au seul titulaire du bail.

Toutefois en cas d’abandon de domicile par le locataire en titre, l’article 14 de la loi du 06/07/1989 crée un droit à l’encontre des occupants non titulaires du bail de sorte que la contrat de location continue au profit du partenaire lié par un PACS et que la sommation dont il est ci dessus parlé devra être signifiée aux deux partenaires pacsés.

C — L’abandon des locaux

La procédure de reprise d’un local ne pourra être envisagée et mise en œuvre qu’en cas d’abandon, c’est-à-dire que l’occupant doit avoir quitté volontairement les lieux et avoir définitivement renoncé à y revenir.

Le fait qu’il existe des meubles dans les lieux ne signifie pas que ceux-ci ne sont pas abandonnés ; ce qui importe c’est l’aspect volontaire de l’abandon sans esprit de retour.

Ainsi, au-delà de l’inoccupation des lieux et du départ caractérisé du locataire, il peut exister des éléments matériels et factuels venant conforter la situation d’abandon.

Citons quelques exemples : le bailleur connaît la nouvelle adresse de son locataire, les voisins ont vu ce dernier déménager, les volets restent clos, depuis l’extérieur les lieux semblent vides…

C’est le cumul de ces différents éléments factuels qui laissent à penser que les lieux sont définitivement abandonnés et qui permettront au commissaire de justice, en cours de procédure, de pénétrer dans les lieux pour dresser un procès-verbal de constat d’abandon.

Ainsi, après avoir pénétré dans le local, le commissaire de justice pourra dresser un procès-verbal de constat d’abandon en tenant compte d’éléments tels que : lieux vides, absence de literie, de produits alimentaires ou d’hygiène, de réfrigérateur ou appareils de cuisson, absence d’électricité…

A contrario, si après être rentré dans les lieux le commissaire de justice s’aperçoit que ceux-ci ne sont pas abandonnés, il dressera un procès-verbal circonstancié et invitera le propriétaire à engager une procédure selon les voies de droit commun (procédure classique de résiliation de bail pour défaut de paiement des loyers).

D — Le défaut d’exécution par le locataire de ses obligations

Ce défaut d’exécution qui résulte du non-paiement des loyers est visé par l’article 3 du Décret du 10/08/2011.

La question est de savoir si, pour mener une procédure autonome de reprise de logement abandonné, il faut qu’il y ait un défaut de paiement du locataire en plus de l’abandon du logement par celui-ci.

La réponse est affirmative, le cumul doit exister et la prudence s’impose par exemple face à un propriétaire qui semblerait vouloir évincer le locataire.

E — Le déroulement de la procédure

Cette procédure se déroule en 5 étapes qui sont les suivantes :

  1. Une mise en demeure d’avoir à justifier de l’occupation effective (article 14-1 L 06/07/1989)

    Lorsque les éléments laissent supposer que le logement est abandonné par ses occupants, selon les informations préalablement fournies par le bailleur, celui-ci peut mettre en demeure le locataire de justifier qu’il occupe le logement ; cet acte doit être signifié au locataire en titre, vraisemblablement dans les conditions prévues à l’article 659 du CPC, et peut être contenu dans un des commandements visés aux articles 7g et 24 de la loi du 06/07/1989. Il convient à ce stade de circonstancier l’abandon lors de la rédaction du procès-verbal de signification dressé par le commissaire de justice.

    Ce premier acte de procédure ouvre un délai d’un mois au locataire pour prendre position.

  2. Le procès-verbal de constat d’abandon du logement

    À l’issue du délai d’un mois évoqué ci-dessus, le commissaire de justice pénètre dans le logement en faisant procéder au besoin à l’ouverture forcée des lieux, conformément aux dispositions de l’article L 142-1 du CPCE.

    Il dresse un procès-verbal de constat en énumérant les éléments qui laissent à penser que le logement est abandonné et dresse un inventaire exhaustif des meubles abandonnés avec l’indication qu’ils paraissent ou non avoir une valeur marchande.

  3. La requête aux fins de résiliation du bail et d’autorisation de reprise des lieux

    La requête, déposée devant le Juge des Contentieux de la Protection du tribunal de Proximité du lieu de situation de l’immeuble, contient les demandes suivantes :

    la résiliation du bail pour motif d’abandon

    l’autorisation de la reprise des locaux abandonnés

    voir statuer sur le sort des meubles y compris ceux qui ont une valeur marchande  

    la condamnation du locataire au paiement des sommes dues au titre de contrat de bail

  4. L’ordonnance constatant la résiliation du bail

    La requête et l’ordonnance exécutoire ainsi rendue sont signifiées, dans le délai de deux mois du prononcé de l’ordonnance, au locataire et à tous les derniers occupants de son chef, connus du bailleur.

    L’ordonnance est susceptible d’opposition dans le délai d’un mois suivant sa signification ; ce délai est suspensif d’exécution.

    En l’absence d’opposition dans ce délai, le greffe délivre au commissaire de justice un certificat de non-opposition.

  5. Le procès-verbal de reprise des lieux

    Le commissaire de justice se transporte sur place et dresse un procès-verbal de reprise des lieux sur le fondement de l’article R 451-1 2° du CPCE, qui sera ensuite signifié au défendeur.

    La procédure prend fin après notification de la décharge fiscale du bailleur auprès du centre des finances publiques.

    Le commissaire de justice peut alors restituer les nouvelles clés du logement au bailleur.

Cas pratiques

Nous allons à présent présenter deux cas pratiques parfaitement illustratifs : il s’agit de deux situations récentes qui se sont présentées à l’étude LSL de Commissaires de justice, que vous pouvez contacter ici pour solliciter une assistance.

Cas 1 : dans le cadre d’une procédure de reprise de logement abandonné qui m’a été confiée par monsieur Antoine D., propriétaire d’un logement situé sur la commune de Maurepas au préjudice de son locataire monsieur Philippe S., j’ai obtenu une ordonnance prononçant la résiliation du bail et ordonnant la reprise des lieux précédemment loués.

Le jour de la reprise des lieux, j’ai rencontré sur place monsieur Philippe S., à ma grande surprise.

Les lieux étant de nouveau occupés, je n’ai pu procéder à la reprise ; néanmoins, la signification de la requête et de l’ordonnance aux fins de reprise vaut titre ordonnant l’expulsion (article R451-4 2° CPCE).

Un commandement de quitter les lieux lui a été signifié et la procédure d’expulsion a été poursuivie à son encontre à l’expiration du délai de 2 mois suivant le commandement de quitter précédemment signifié, sans qu’il y ait à obtenir un nouveau titre d’expulsion.

Cas 2 : Mr Didier B., propriétaire d’un appartement de 2 pièces situé sur la commune de Saint-Arnoult-en-Yvelines, loué à Patrick C., m’informe que ce dernier est décédé, qu’il vivait avec Mme Suzanne C., son épouse qui occupe les lieux, mais n’a pas signé le bail.

Cette dernière aurait déclaré au bailleur qu’elle souhaitait quitter les lieux et pouvait éventuellement être hébergée chez ses parents qui vivent en Bretagne.

Le bailleur m’a demandé d’engager la procédure de reprise selon la loi Béteille, car il souhaitait récupérer au plus vite son appartement.

La demande du bailleur était pour le moins extravagante et la procédure autonome de reprise d’un logement abandonné était pour plusieurs raisons inadaptée et ne pouvait être envisagée du fait notamment que lors du décès le contrat de bail est transféré au conjoint survivant.

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